Négrospirituals

Langage et Codes secrets d’évasion des esclaves africains américains,
(publié le 27/04/2005 sur Afrikara.com.)

undergroundrailroad

Selon Archives Afrikara Ze Belinga, extrait de  « Negro Spirituals »

Symbole du génie musical, artistique et spirituel africain américain, le Negro Spirituals a surgit au début du 19me siècle au terme d’une longue gestation et son succès n’est pas seulement redevable à ses prouesses rythmiques et harmoniques, ce genre musical a été un double langage ingénieux de transmission des messages d’évasion entre esclaves en quête de liberté.

La résistance culturelle l’oppression est puissance et harmonie, esthétique et plastique, spirituelle surtout. Avec le Negro Spirituals, ce formidable répertoire africain américain de plusieurs milliers de compositions musicales, élaboré pendant les siècles d’esclavage en Amérique, la dimension stratégique de la lutte est portée à un niveau quasi mystique.

En effet, en recombinant des traditions africaines ancestrales de chant telle que la structure en questions-réponses, avec les textes chrétiens et dans un esprit traduisant la rudesse des conditions de vie dans l’esclavage, les esclavisés africains américains ont commis une oeuvre grandiose, éternelle. Profitant des moments d’inadvertance des maîtres pour tenir des réunions secrètes, discuter, chanter, danser, élaborer des plans de fuite, les africains américains sous les fers de la servitude enfantaient un genre musicale et une pratique religieuse extrêmement toniques. Le Negro Spirituals tait le compagnon des efforts collectifs et individuels des africains des Amériques, dans les champs, pendant le repos, tous les moments autorisés.

L’imagination reste figée lorsqu’on considère ces transes, ces fêtes, ces prêches enflammés, autant de leurres utilisant l’arme imparable du chant métaphorique, du double sens, pour transmettre des codes secrets d’évasion. Lieux de rassemblements, jours d’évasion, départs et arrivées des bourreaux, étaient intégrés aux textes de bibles authentiques suivant des codes que ne connaissaient que les esclaves, codes tapis derrière des syntaxes apparemment inoffensives.

Tout part de la condition abominable d’esclave dans les colonies d’Amérique et des Carabes, servitude sans nom ni recours qui aura été le lit de l’entreposage violent du christianisme sur les consciences des Africains, et de l’accentuation de la dimension de salut omniprésente dans le Negro Spirituals. Les thèmes de la rédemption, du retour vers Dieu, du retour la maison, sont des poncifs, motifs inépuisables dans le Gospel et le Negro Spirituals.

Une double lecture des officiants, choristes et participants aux cultes africains américains s’applique aux textes bibliques et aux chants s’en inspirant. Le salut est de prime abord celui accord par Dieu en bonne foi chrétienne, mais il est aussi le résultat dune évasion corporelle réussie, dune fuite victorieuse. Les termes de home -maison-, train -train- ou station -escale d’un train, lieu de contact,-, très usités dans les textes de Negro Spirituals renvoient une codification spécifique des actes de résistance, de marronnage, de fuite. Le terme Home schappe de sa signification de domicile prise au pied de la lettre, il va s’employer plus généralement dans le sens de ce lieu béni, cette terre d’élection que tous aspirent atteindre, lieu par excellence où toute servitude, toute souffrance, tout esclavage est aboli. De tels mots sont des mots codés, clés d’un langage métaphorique de résistance, de fuite, de libration.

Des titres très célèbres comme Swing Low ou Wade in the Water, The Gospel Train, égrènent ce double discours sotriologique anticipant la rencontre avec l’Eternel et poussant fidèles et asservis dans des vibrations motionnelles inimitables face à cette projection vers la liberté. Le salut tant attendu, loué, imploré, pleuré est aussi envisagé comme l’évasion du corps meurtri, la fuite rebelle, la sortie physique de l’empire de la servitude.

Harriet Tubman, qui popularisa par son histoire épique d’esclave libre qui revint du Nord vers le Sud esclavagiste libérer à son tour des centaines d’esclaves, utilisa pour sa gigantesque oeuvre l’organisation communément désignée Chemin de Fer souterrain ou Underground Railroad. L’organisation qui agissait derrière cette appellation était un réseau humain d’une efficacité impressionnante, dénichant les pistes les moins fréquentes, les tactiques de camouflage dans les bois ou dans les eaux marécageuses pour éviter les chiens, signaux, et coordonnant des fuites kilométriques. Ceci fut le fruit de nombreux et courageux africains américains, aidés de complices blancs non moins vaillants.

Pour haranguer son groupe d’évadés, leur redonner courage devant l’épreuve, Harriet Tubman chantait Go Down Moses, rappelant la sortie victorieuse du peuple élu d’Egypte contre la volonté du pharaon, à qui le seigneur envoya ce message porté par Moïse « Let my people go », « laisse mon peuple s’en aller » . En dehors de toute dogmatique judéo-chrétienne, la force du Negro Spirituals ici réside dans l’invocation de l’absolu, la conviction que la volonté divine est du côté des fugitifs, victimes de la barbarie esclavagiste, et la résurrection des sujets habités par ces convictions.

Dans le contexte suivant l’abolition de l’esclavage, les Negro Spirituals allaient continuer de charpenter la forme des résistances et des combats pour les droits civiques des africains américains, contribuant la force de mobilisation et la puissance des messages interactifs des orateurs comme Martin Luther King, ou Malcolm X.

Expression artistique pleine, le Negro Spirituals atteint le paroxysme de la transmission d’émotions surhumaines entraînant dans la transe chanteurs, choristes et public. Ce genre musical aura été une des armes les plus redoutables dans la résistance et le combat contre l’esclavisation des africains d’Amérique.